Article HR Today : HP en entreprise
L’homme qui murmurait à l’oreille des HP
Bernard Jouvel est consultant en management et executive coach. Il a accompagné en entreprise des centaines de personnes diagnostiquées HP. Il nous livre ici ses impressions et ses conseils.
Lorsqu’on demande aux personnes qui ont été détectées HP leur propre définition du haut potentiel, elles répon- dent à l’unisson: «C’est quelqu’un qui réfléchit vite, est très sensible et se sent différent des autres». Dans le monde de l’entreprise, le terme Haut Potentiel désigne les collaborateurs avec un potentiel professionnel important et qui sont donc promis à d’importantes fonctions managériales. Mais, dans le langage courant et chez les psychologues, un HP désigne une personne ayant un haut Quotient Intellectuel (QI). Attention à ne pas confondre avec le génie: il y aurait quelques centaines de millions de HPs dans le monde (2 à 5% de la population), pour seulement quelques milliers de génies…
Pour cet article, j’ai interviewé huit cadres HP et occupant des fonctions telles que recruteur, responsable de formation, DRH ou directeur opérationnel. Je me suis également basé sur mon expérience avec plusieurs centaines d’autres HP que j’ai rencontrés et accompagnés en tant que coach et consultant en management.
Une absence globale de prise de charge
Premier constat: aucune des entreprises interrogées n’a mis en place de programmes adaptés pour les HP. Ce qui laisse penser que l’importance du phénomène est mal connue et le fonction- nement des personnes intéressées mal compris. Dans la pra- tique, je croise régulièrement des HP dont les qualités ne sont ni reconnues ni utilisées, qui s’ennuient à mourir à leur poste de travail et qui finissent d’ailleurs parfois par le quitter, de leur plein gré ou non.
Il faut comprendre que le don de leur hyper-intelligence ne vient pas sans contrepartie. En fait, ces personnes vivent comme si elles étaient branchées sur un amplificateur. Et ce n’est pas seulement leur intelligence qui est amplifiée, mais aussi leur créativité, leurs sensations, et leurs émotions… (lire encadré). Gérer cette amplification n’est pas toujours simple, ni pour eux, ni pour l’entreprise. Leur grande sensibilité et leur maladresse sociale peuvent entraîner des problèmes compor- tementaux, mais également susciter incompréhension et ja- lousie de la part de leurs collègues. On ne compte pas les cas de cadres HP qui s’attirent les foudres de leurs collègues parce qu’ils s’expriment sur un ton trop directif: ils ont raison sur le fond, mais pas sur la forme. «À dire et à répéter trop souvent des choses qui n’ont pas envie d’être entendues, on finit par déranger et même par être exclu.» Le «très» devient ainsi un «trop»: «Le HP est une ressource qu’on a envie d’exploiter, mais à laquelle on n’a pas envie d’être confronté.» Qui a vrai- ment envie d’un collègue ou d’un subordonné plus intelligent que lui? Étonnamment, je croise beaucoup de HP qui n’ont pas
la carrière que l’on pourrait imaginer. Tout comme les enfants précoces peuvent être en échec scolaire, les adultes HP peu- vent avoir du mal à trouver leur place dans l’entreprise.
Mon vécu avec des HP
Lorsque je détecte un HP, l’intéressé réagit systématiquement par la dénégation: «Je connais des gens brillants intellec- tuellement, mais pas moi!». En fait, ils pensent que ce ne sont pas eux qui sont très rapides, mais les autres qui sont lents. Un bras de fer intellectuel commence: ils mettent toute leur capa- cité cognitive au service de la résistance, remettent en cause le processus de coaching, jusqu’au coach lui-même. Il faut être solide pour coacher un HP! Cette lutte masque en fait un appel à l’aide pour s’assurer qu’ils peuvent me faire confiance. C’est comme s’ils me disaient: «Je veux être certain que tu me com- prends vraiment, et que tu ne vas pas me lâcher comme les autres l’ont fait».
Une fois passé ce cap, leur intelligence peut enfin se mettre au service du coaching. C’est même le raz-de-marée d’énergie. Ils veulent que le coaching avance très rapidement. Je com- mence souvent par l’exploration de leurs émotions. J’insiste sur la nécessité de réconcilier la tête et le cœur. J’utilise parfois un exercice issu des arts martiaux qui «court-circuite» le men- tal pour passer par le corps. Je génère une situation de stress à travers des exercices de respiration. Ils se retrouvent face à la peur et réalisent qu’ils sont capables de la gérer. J’essaie aussi de leur faire comprendre qu’être hypersensible, ce n’est pas être faible. L’objectif est de faire de leur hypersensibilité une alliée.
Nous travaillons ensuite à réinvestir des codes sociaux. Que peuvent-ils changer dans leurs interactions pour ne pas heurter les autres? Comment expliquer leur différence? Une fois qu’on a accepté son altérité, on peut commencer à re- construire les relations sur de nouvelles bases. Pour cela, il faut qu’ils sachent ce qui est important pour eux. Quels sont leurs valeurs, leurs compétences, leurs rêves? Ce sont des questions clés pour les HP, car ils ont souvent un «faux self» très dévelop- pé. Ce qu’ils pensent être et ce qu’ils désirent, n’est souvent pas en ligne avec qui ils sont vraiment et ce qu’ils veulent pro- fondément. «Hyperempathiques», ils se sont fréquemment suradaptés dès l’enfance aux attentes de leur entourage. Au fil du temps, ils peuvent ne plus faire la différence entre leurs envies et ce qu’on attend d’eux.
Comment profiter pleinement du talent des HP?
«Cela ne fait aucun sens d’embaucher des gens intelligents puis de leur dire ce qu’ils doivent faire. Nous recrutons des gens intelligents afin qu’ils nous disent ce que nous devons faire» (Steve Jobs).
Faut-il utiliser des tests de dépistage? Je ne le recommande pas forcément. Ils sont très parcel- laires, car ils ne prennent en compte que quel- ques dimensions de l’intelligence. Leur autre dé- faut est qu’ils sont extrêmement anxiogènes. Que faire si la personne n’atteint pas le score qui la qualifierait d’HP?
Un grand besoin d’espace et de liberté
Il est beaucoup plus utile de comprendre les spé- cificités du fonctionnement HP. Cela permet de répondre à leurs besoins pour tenter de tirer le meilleur d’eux-mêmes, et maintenir leur perfor- mance sur la durée. Il faut savoir qu’ils ont besoin d’espace et de liberté (mais pas trop, car il existe un risque d’éparpillement). Ils ont également be- soin d’être entendus et encouragés, de savoir que leur avis sera pris en compte. Il leur faut des pro- blèmes à résoudre et des nouveautés à apprendre pour satisfaire leur appétit intellectuel. Ils excel- lent dans le multitâches. Mais comme ils ont du mal à «rentrer dans les cases», il faudra éviter de leur confier des tâches trop répétitives et de les placer dans des environnements trop cadrés (sur- tout pas de micro-management).
Une responsable du recrutement m’a dit: «Ce sont des colosses aux pieds d’argile: s’ils n’ont pas travaillé sur eux-mêmes, leur manque de con- fiance systématique et leur grande sensibilité re- présentent des facteurs problématiques dans des fonctions de leadership.» C’est pourquoi certains HP seront très mal à l’aise dans un rôle de mana- ger. Mais s’ils apprennent à maîtriser leur sensi- bilité, ils pourront devenir d’excellents leaders participatifs. «Un manager HP est très motivant pour son équipe, et il développera naturellement leurs compétences.»
Conseils pour la gestion de carrière
Concernant leur gestion de carrière, les HP sont généralement plus intéressés par le contenu d’un poste que par le titre. Ils préféreront un emploi qui leur permet de s’épanouir, à un poste presti- gieux ou mieux payé, mais frustrant. «Lorsque j’identifie un HP en début de carrière, j’essaye de lui aménager un parcours qui offre des possibili- tés de découvrir plusieurs postes de base, même rapidement (sur quelques mois), avant de le faire évoluer vers des fonctions managériales.»
Et pour conclure, voici la recommandation d’un chasseur de tête: «Vérifier que la personne a intégré la nécessité de gérer les aspects émo- tionnels et que le poste va suffisamment le nour- rir intellectuellement. Informer le client pour qu’il puisse bien comprendre et bénéficier des ta- lents du HP.» L’entreprise doit jouer un rôle en donnant un cadre permettant à un HP de donner son meilleur, afin de profiter de ses excep- tionnelles capacités. De son côté, le HP doit aussi se donner les moyens de réussir en effectuant un travail de développement personnel pour apprendre à gérer son potentiel et en particulier ses émotions.
Bernard Jouvel
Définition du HP selon le Dr Dabrowski:
Surdoués, ou surefficients mentaux, plusieurs termes commençant par «sur» qualifient les HP. Car ce sont bien les superlatifs qui se trouvent au centre de leur fonctionnement. Le Dr Kazimierz Dabrowski a été l’un des premiers à réaliser que la spécificité des HP dépassait le cadre de la stricte intelligence, laquelle est habituellement mesurée par un test de QI. Il a établi que la sensibilité et le ressenti des HP dépassaient la norme, en intensité, sur cinq plans: les émotions (avec une grande empathie et un besoin d’entretenir des relations exclusives, notamment), les sensations (les cinq sens sont concernés); l’imagination (inclination à la rêverie, vie intérieure riche, tendance à s’ennuyer rapidement…); la psychomotricité (besoin de bouger, grande énergie) et enfin, l’intellect (intense activité cérébrale, habileté d’analyse et de synthèse, etc.) Mais attention, en cherchant à définir le haut potentiel par un ensemble de caractéristiques communes, on risque d’oublier que derrière la définition se trouvent des individus tous différents, avec leur chemin de vie et leur personnalité propre!